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Sénégal : Les leçons de l’élection Présidentielle du 24 mars 2024

Les sénégalais étaient appelés aux urnes ce dimanche 24 mars 2024 pour élire le nouveau Président de la République après 12 ans de pouvoir du Président Macky SALL en fin de mandat ce 2 avril 2024. Après une campagne éclair, les Sénégalais semblent avoir choisi la rupture en votant massivement le candidat de l’opposant Bassirou Diomaye Diakhar FAYE.

Un séisme démocratique s’est produit au Sénégal. On pourrait parler de révolution démocratique, de vote sanction du système ou de rejet de l’élite politique sénégalaise. De la prison à la présidence en l’espace de 10 jours, un fait politique à la Mandela. Tel est le scénario invraisemblable redouté qui s’est pourtant confirmé à la clôture des bureaux de vote ce dimanche. En prison depuis plus de 11 mois, le candidat de la coalition Diomaye Président a été libéré le 14 mars 2024 au même moment que son mentor Ousmane SONKO dont la candidature a été recalée suite à une condamnation judiciaire pour diffamation contre le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang. Les deux opposants ont donc été libérés alors que les campagnes électorales étaient déjà lancées.  Prenant les choses en cours, ils ont su insuffler un coup d’accélérateur à la campagne dès leur première apparition publique seulement le lendemain de leur libération en conférence de presse. Plusieurs prouesses politiques peuvent être citées dans le cadre de ces élections présidentielles sénégalaises. Un candidat de l’opposition élu à sa première participation à une élection présidentielle dès le premier tour, ce qui est une première au pays de la Teranga.

Un candidat élu alors que son parti a été dissout par le gouvernement

On note une ingénierie politique de SONKO ainsi qu’une belle leçon d’intelligence politique de ce leader charismatique adoubé par la jeunesse sénégalaise. Phénomène politique fulgurant, l’opposant Ousmane SONKO aux idées souverainistes et panafricanistes de gauche a su braver les intempéries politiques de ces trois dernières années. Une stratégie politique gagnante du PASTEF. En effet, le principal parti d’opposition a su garder son unité face aux déboires judiciaires des 2 leaders du parti tous emprisonnés. Malgré la disqualification de leur champion Ousmane SONKO, le PASTEF a fait preuve d’intelligence politique pour garantir la participation du parti aux élections présidentielles. A un aucun moment, ils n’ont abandonné leurs ambitions présidentielles, mettant en perspective plusieurs plans alternatifs. Aucune idée de boycott du scrutin face à l’adversité, pas de politique de la chaise vide comme l’on a l’habitude de voir en Afrique. Le leader de l’opposition Ousmane SONKO a encaissé tous les coups, acceptant faire le dos rond, supportant les sacrifices nécessaires pour protéger son équipe et prévoir des plans secours à sa candidature. Il fallait payer le prix pour arracher le pouvoir dans son duel contre le camp présidentiel de Macky Sall.

Malgré le nombre de candidats, 19 au total, il n’y a pas eu une dispersion des votes, qui se sont focalisés sur les 2 candidats favoris, c’est-à-dire le duel entre 2 inspecteurs des impôts et domaines, le candidat du système et le candidat de la rupture. Bassirou Diomaye FAYE sera le plus jeune Président du Sénégal, lui qui a soufflé sa 44e bougie ce 25 mars 2024, au lendemain de l’élection présidentielle. C’est inédit ce qui se passe au Sénégal. Un Président élu 10 jours après sa sortie de prison, puisse qu’il fût emprisonné jusqu’au 14 mars alors que les campagnes étaient en cours et le scrutin prévu pour le 24 mars 2024. Par ailleurs, pour témoigner la beauté et la maturité de la démocratie sénégalaise, son adversaire direct le candidat Amadou BA du camp présidentiel avant la publication des résultats officiels, à la suite des autres candidats, n’a pas hésité à appeler le candidat FAYE pour reconnaître sa défaite et le féliciter quand les tendances du dépouillement révélaient une large avance au profit de l’opposant.

Le choix de la trajectoire d’une l’opposition radicale au Président Macky SALL a enfin payé pour le parti de l’opposant Ousmane SONKO malgré que le fait que certains de ces collègues opposants réprouvaient ses méthodes. D’autres avaient déclaré que ses déboires judiciaires étaient mérités quand il était le seul opposant en lutte ouverte face au pouvoir présidentiel, une confrontation qui lui a valu des arrestations violentes, des tours en prison, des barricades policiers à domicile l’empêchant de sortir etc. Arriver à trouver une alternative juridique valable pour contrer l’élimination de la candidature du candidat naturel du parti évitant ainsi l’absence du parti aux élections relève d’un réalisme politique mettant en avant le projet politique porté, acceptant un changement du leadership si nécessaire.

La course vers l’élimination et la liquidation du PASTEF n’a donc produit que l’effet contraire

La popularité du candidat SONKO recalé par le Conseil constitutionnel suite à son long procès à multiples rebondissements, refermée par sa condamnation judiciaire, a finalement décuplée. Comme quoi toute publicité est bonne à prendre. On aurait pu penser à un moment de cette longue épisode judiciaire que le blocage de la candidature de SONKO suffirait à éviter la victoire du PASTEF. Mais le PASTEF a réussi à préserver la même mobilisation autour du candidat choisi par son leader qui certainement n’était pas assez connu mais l’image de SONKO a suffi pour le mettre au-devant. On pourrait également penser que même si la candidature du dauphin de SONKO, par ailleurs n°2 du parti était aussi recalée, le parti présenterait un autre candidat qui allait également remporter l’élection quel que soit son nom. Au sein du parti, tous les dirigeants n’étant pas emprisonnés ni poursuivis en justice, ils allaient forcément avoir un candidat s’ils le souhaitaient. Le PASTEF a même eu l’ingéniosité de faire une communication indiquant que « Diomaye mooy SONKO » c’est-à dire « Diomaye c’est SONKO » associant l’image du Président du parti à tous les outils de communication. Ils ont tiré profit de l’image du leader pour consolider les rangs et bannir la division.

En plus, après avoir réussi à former une véritable coalition d’opposition, le parti a présenté plusieurs candidatures qui en étaient une en réalité. Les autres candidats du parti, validés par le Conseil constitutionnel, ont battu campagne pour le même candidat et non pour eux-mêmes. Il s’agissait juste d’une stratégie pour avoir une large couverture médiatique, bénéficier de plusieurs temps de parole dans les médias pour promouvoir la candidature du parti en réalité unique. Le pari de l’affaiblissement du PASTEF par l’élimination de la candidature de son leader incontesté SONKO n’a pas fonctionné. Finalement on peut dire que les sénégalais n’ont pas voté un candidat mais un programme politique dans le sens d’une dynamique de changement. La crispation de l’espace politique sénégalais avait soulevé des inquiétudes sur la stabilité du pays et la démocratie au Sénégal. Depuis 2021, les tensions politiques ont dominé la vie politique nationale avec une exacerbation en 2023 marquée par des manifestations violemment réprimées, des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ainsi que des pertes en vies humaines et de nombreuses arrestations. Plusieurs analystes parlent d’une dérive autoritaire du pouvoir du Président Macky Sall à la fin de son mandat. Mieux encore, les élections présidentielles étaient incertaines parce que contre toute attente le 3 février, à la veille de l’ouverture des campagnes, le Président Macky Sall avait reporté les élections initialement prévues le 25 février 2024. Il s’en est suivi des contestations, des résistances aussi bien de la part des partis politiques de l’opposition que de la société civile qui s’est aussitôt constituée en coalition « Arr Sunu Election ».

Le conseil constitutionnel avait à son tour refusé le report des élections au-delà du 2 avril 2024, date de fin du mandat présidentiel en cours, après avoir déclaré anti-constitutionnels le décret présidentiel et la loi reportant l’élection au 15 décembre. Dans la foulée, le Président prenant acte de la décision des juges constitutionnels avait initié un dialogue politique pour trouver une nouvelle date aux élections. La majorité des candidats à l’élection déjà validés avaient boycotté ce dialogue politique, exigeant la tenue des élections présidentielles à bonne date. Les résultats de ce dialogue ont tous été rejetés en bloc par le Conseil constitutionnel notamment la date du 2 juin 2024 proposé aux termes de ce dialogue ainsi que la proposition de réouverture du processus de réception des candidatures pour réexaminer les dossiers des candidats recalés. Cette crise politique couplée d’une crise institutionnelle avait attiré les regards sur le Sénégal qui est un laboratoire de démocratie en Afrique de l’Ouest. Les inquiétudes de la communauté internationale et les critiques de la presse internationale ont mis une certaine pression au gouvernement sénégalais et semblent avoir déstabilisé la maîtrise du Président SALL, qui décidément n’a pas apprécié la réaction des médias internationaux à son encontre suite au report des élections présidentielles.

Maintenant, il faut attendre de voir comment la coalition Diomaye Président abordera les grands défis de la gouvernance, l’immense espoir suscité face aux réalités socio-économiques surtout qu’elle a remporté l’élection présidentielle sans avoir la majorité à l’Assemblée nationale. Vont-ils dissoudre le parlement ? Ou passeraient-ils par des alliances parlementaires pour gouverner et faire passer les lois à l’Assemblée nationale ? Jusqu’où ira cette histoire politique inédite en Afrique ? Il ne sera pas étonnant à notre sens qu’au terme du quinquennat de Bassirou Diomaye FAYE, Ousmane SONKO prenne le relais pour conquérir un second mandat PASTEF. SONKO a battu campagne pour Diomaye en 2024, Diomaye pourrait battre campagne pour SONKO en 2029. Un tel scénario serait encore une autre leçon politique et démocratique du Sénégal. Ce qui est sûr le PASTEF de l’opposant Ousmane SONKO aura secoué l’appareil politique et la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar qui n’a pas pu tenir son slogan de campagne promettant de l’emporter dès le premier tour. Par contre, plusieurs défis attendent le nouveau Président sénégalais mais avant de se lancer dans ses perspectives, il convient de féliciter le peuple sénégalais et l’ensemble des acteurs politiques, ainsi que la persévérance et la résilience du PASTEF et de son leader Ousmane SONKO, pour la vitalité de la démocratie sénégalaise, qui demeure une vitrine en Afrique.

Dakar, le 28 mars 2024.

Abdoul Aziz KAFANDO, Juriste, Analyste politique.

la-plume.bf

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