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« 43% des avortements clandestins ont lieu chez des guérisseuses traditionnelles ou des sources inconnues»

Faire recours à un avortement clandestin peut conduire à la mort ou peut conduire à  des complications graves avec des séquelles selon  Dr Mady Dera, référent ABBEF.  C’est lors d’une interview réalisée le 13 décembre dernier que ces dernier est revenu sur les dangers liés à l’avortement. Pour lui, «  vulgariser l’interruption sécurisée de grossesse selon la loi et la rendre accessible aux bénéficiaires dans de meilleurs délais et à tous les niveaux du système de santé ».

La Plume : Quelle définition  donnez-vous de l’avortement clandestin ?

Dr Mady Dera : Un avortement clandestin est toute interruption volontaire de grossesse effectuée en dehors du cadre légal.

Est-ce que cela peut provoquer un impact négatif sur la santé de la fille ou la femme qui se fait avorter ?

Oui, les avortements clandestins qui sont le plus souvent à risque ont un impact très négatif sur la santé de la femme et particulièrement sur la jeune fille. Selon l’OMS l’avortement non sécurisé constitue l’une des principales causes de décès maternels et de morbidité. En effet, la grande majorité de ces avortements se termine par des complications pouvant conduire à la mort telles les douleurs atroces, les saignements intenses, les infections, les insuffisances rénales, la stérilité ultérieure et les répercussions psychologiques.

Quelle raison  peut pousser une jeune fille ou une femme à    avorter ?

Je dirais que les causes les plus fréquentes de l’avortement clandestin sont le viol, l’inceste, les pressions familiales, la limitation de la taille de la famille, la pauvreté, la prostitution et le lifestyle abortions (les avortements dus au style de vie). Une étude récente de Performance Monitoring for Action (PMA) montre que les raisons principales d’interrompre une grossesse au Burkina Faso variaient selon le cycle de vie, mais étaient souvent liées à la précocité des grossesses qui bousculaient les normes sociales et interféraient avec l’éducation. Les principales raisons étaient :

  • Trop jeune, pas prête 39%
  • Raisons de santé 15%
  • Interfère avec mon éducation 16%
  • Raisons financières 12%

Voici quelques raisons souvent évoquées lors des enquêtes.

Faire recours à un avortement clandestin peut-il  mettre en danger la santé de la femme, parfois leur vie ?

Comme dit plus haut, faire recours à un avortement clandestin peut conduire à la mort ou se retrouver avec des complications graves et des séquelles irréversibles.

  • Tranche d’âge

Selon l’étude PMA (2020), la tranche d’âge des 15 à 19 ans est la plus concernée (31%) suivi de des 20 à 29 ans (28%). Mais toutes les tranches d’âges des femmes en âge de procréer sont touchées par le phénomène.

Parlez nous des causes et conséquences ?

Parmi les causes d’avortement clandestin, nous pouvons citer :

  • L’ignorance ou l’insuffisance d’information car dans l’étude PMA, il est revenu que 75% des enquêtées n’étaient pas au courant des dispositions légales permettant l’avortement sécurisé dans certaines conditions notamment dans les cas de viol, d’inceste, de malformation fœtale, ou lorsque la vie ou la santé physique de la femme est en danger ;
  • L’insuffisance d’éducation à la sexualité ou à la vie familiale des adolescent(e)s et jeunes corrélée à une faible utilisation des méthodes contraceptives alors que beaucoup rentre tôt dans la sexualité active ;
  • La pressions des barrières sociales, culturelles et religieuses fait que même dans des cas autorisés par la loi, les parents font recours à la clandestinité pour préserver l’honneur de la famille avec tous les risques qui y vont avec ;
  • Les restrictions des lois : le Burkina Faso a ratifié le protocole de Maputo qui autorise l’avortement sous certaines conditions mais la non harmonisation des textes et les longs délais des procédures n’encouragent pas les potentiels bénéficiaires. En termes de conséquences, elles sont évidemment nombreuses. En plus des complications physiques et psychologiques évoquées plus haut, il faut ajouter la charge sociale et financière pour les femmes, les communautés et les systèmes de santé.

On peut avoir les caractéristiques de femmes ayant recours à l’avortement clandestin ?

Les avortements clandestins sont pratiqués dans toutes les tranches d’âge de femmes en âge de procréer, qu’elles soient mariées on non, qu’elle ait des enfants on non et quel que soit le niveau d’instruction et le lieu de résidence. Par contre, en termes de statistiques, les femmes qui ont le plus recours à l’avortement au Burkina ont tendance à être plus jeunes (15 à 24 ans), non mariées, sans enfants, plus instruites et vivant en milieu urbain.

Y-a-t-il des statistiques ?

Sur une estimation de 121 millions de grossesses non planifiées dans le monde chaque année, 61% se terminent par un avortement soit environ 73 millions par an. Au Burkina Faso, des estimations sur la base d’études réalisées nous donnent les chiffres de 105 000 avortements en 2012 et 113 000 avortements en 2020. 43% des avortements clandestins ont lieu chez des guérisseuses traditionnelles ou des sources inconnues, 32% se terminent par des complications graves et dans la grande majorité des cas, elles ne bénéficient pas de soins après avortement appropriés.

Est-ce que l’avortement clandestin peut être une cause de décès maternelle ?

Je ne dispose pas de statistiques au Burkina sur les décès maternels liés à l’avortement mais d’autres études en Afrique Subsaharienne les chiffrent autour de 14%. C’est-à-dire une femme sur sept (7) décède de suite d’un avortement à risque.

 Avez-vous quelque chose à ajouter pour clore  notre entretien ?

Malgré les restrictions liées à l’avortement, le phénomène est une réalité et de grande ampleur mais dans la clandestinité. Il faudra donc renforcer l’éducation à la sexualité et améliorer l’accessibilité des services de planification familiale de qualité à tous les niveaux du système de santé pour prévenir les grossesses non désirées. Il faudra aussi vulgariser l’interruption sécurisée de grossesse selon la loi et la rendre accessible aux bénéficiaires dans de meilleurs délais et à tous les niveaux du système de santé. Ces mesures pourraient réduire le nombre d’avortement non sécurisés avec leurs corollaires de complications et de décès maternels.

Interview réalisée par Amina Tapsoba

la-plume.bf

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