« Le jeûne de Ramadan est avant tout un acte de dévotion et d’adoration envers Allah »

Nous sommes à quelques heures du jeûne de Ramadan, pour avoir toutes les informations sur cet rite religieux, nous avons échangé avec imam Ismaël Tiendrébeogo le 27 février 2025. Il a répondu à toutes nos questions et a donné des conseils aux musulmans pour réussir leur jeûne.
LA PLUME :Quel est le sens profond du jeûne du mois de Ramadan pour les musulmans et quel rôle joue-t-il dans la spiritualité individuelle et collective ?
Imam Tiendrébeogo : Le jeûne du mois de Ramadan revêt un sens profond et multiple pour les musulmans. Il est l’un des cinq piliers de l’Islam, donc une obligation religieuse. Au-delà de la perception primaire de ceux qui voient dans le jeûne de simples actes de privation de nourriture et de boisson, il s’agit de rechercher l’agrément du Très-Haut en nous privant de ce qui nous est le plus indispensable : l’eau et la nourriture. Le jeûne de Ramadan est donc avant tout un acte de dévotion et d’adoration envers Allah (swt). C’est un mois au cours duquel, en réponse à notre intention de lui plaire, il s’approprie notre jeûne. En effet, selon le Prophète SAW, « toutes les œuvres du fils d’Adam lui appartiennent, sauf son jeûne. Il m’appartient et c’est Moi qui lui en donnerai la récompense ». De plus, pendant ce mois le plus béni de tous, Allah nous ouvre largement les portes du paradis, et ferme celles de l’enfer. C’est une période pendant laquelle nous sommes invités, en tant que croyants, à intensifier nos prières, invocations et autres bonnes œuvres. Pour chacun de nous, le jeûne est un moyen de purification de l’âme et de renforcement de la foi. Il permet de développer la patience, la discipline et la maîtrise de soi. Le jeûne est également un exercice de sincérité envers Allah. Il ne peut être attesté par personne. C’est un acte de foi qui se manifeste dans l’intimité du cœur du croyant. C’est pourquoi Allah (swt) récompense le jeûne de manière illimitée, car il s’agit d’un acte de culte basé sur la sincérité et l’intégrité. En tant que communauté, Ramadan favorise notre unité et notre solidarité, car nous partageons les mêmes expériences de privation et de dévotion. Le jeûne encourage également les musulmans à se rappeler des moins fortunés et à multiplier leurs gestes de générosité à leur profit. Ce qui contribue à l’amélioration du bien-être de la société. Ramadan permet donc notre renouvellement spirituel, le rapprochement avec Allah (swt) et le renforcement des liens communautaires.
En ce mois de Ramadan, quelles doivent être les priorités spirituelles et sociales des musulmans, particulièrement en termes de solidarité et d’engagement envers la communauté ?
Pendant ramadan, les musulmans doivent accorder une attention particulière à leurs priorités spirituelles et sociales. Sur le plan spirituel, il est essentiel d’intensifier les actes de dévotion, tels que la prière, la lecture du Coran, les actes de générosité et les invocations, spécialement les stighfar ( NDLR demandes de pardon à Dieu) . Particulièrement, en ce mois, multiplions les invocations pour nos parents, car les savants disent qu’elles sont plus méritoires que les aumônes. L’unité et la fraternité doivent également être renforcées. Les croyants sont invités à se rassembler pour les prières de groupe, à partager les repas de l’Iftar (NDLR repas pris pour rompre le jeûne) avec leurs proches et voisins, et à œuvrer pour le bien-être collectif. L’entraide et le soutien mutuel, en particulier envers ceux qui traversent des épreuves, sont des aspects essentiels du comportement à adopter durant ce mois béni.C’est dans ce cadre que nous tiendrons pour la 2e année, notre initiative « Iftar aux carrefours », à laquelle tout le monde peut contribuer en allant sur ma page Facebook. Nous avons voulu cette initiative comme la réponse à ceux qui, pris dans les embouteillages n’ont pas le temps de trouver de quoi rompre le jeûne ou ceux qui manque de monnaie ou de ressources pour s’offrir de quoi rompre leur jeûne.
Durant le mois de Ramadan, on observe un afflux massif de fidèles dans les mosquées, suivi d’un certain relâchement après la période du Ramadan. Quelles en sont les raisons profondes et que faudrait-il faire pour maintenir cet esprit de piété tout au long de l’année ?
L’afflux massif de fidèles dans les mosquées durant le Ramadan est la preuve que les démons sont enchaînés en ce mois, comme l’a enseigné le Prophète SAW. Il est aussi motivé par le désir de tirer pleinement parti des bénédictions et de la spiritualité de ce mois. De plus, les prières de Tarawih ( NDLR prière non obligatoire accomplie durant le Ramadan après la prière du soir entre 10 et 20 unités de prières) , la récitation du Coran et les invocations collectives créent une atmosphère unique de dévotion et de communauté. Malheureusement, pour certains, une fois le Ramadan terminé, les obligations professionnelles, familiales et sociales reprennent leur cours, rendent difficile le maintien du minimum de niveau de cette dévotion. De plus, l’après-Ramadan est marqué par l’absence du sentiment de solidarité et d’engagement collectif que crée le Ramadan. Pourtant, maintenir l’esprit de Ramadan est la preuve que notre ramadan aura été accepté, puisque le “jeûne a été prescrit afin que vous atteigniez la piété” (Sourate 2, 185-187). Pour y parvenir, nous devrions maintenir une pratique régulière des actes d’adoration, même en dehors du Ramadan, comme la prière en groupe, la lecture quotidienne du Coran et les actions de charité. Nos mosquées pourraient, dans cette même lancée, dérouler des programmes et des événements réguliers dans les mosquées et les centres pour maintenir l’engagement communautaire et spirituel.
Certaines personnes critiquent le comportement de certains musulmans pendant le mois de Ramadan, comme le fait de cracher en public. Est-il vrai que ces comportements sont liés au jeûne, et quelles sont les pratiques appropriées à adopter ?
Il est important de noter que certains comportements observés pendant le Ramadan, tels que cracher en public, ne sont pas intrinsèquement liés au jeûne lui-même, mais plutôt à des habitudes individuelles qui peuvent varier d’une personne à l’autre. Le jeûne en Islam est un acte spirituel visant à purifier l’âme, à développer la patience et à renforcer la maîtrise de soi. Il faut donc que ceux qui portent ce genre de jugements arrêtent de stigmatiser tous les jeûneurs pour les habitudes de quelques-uns. J’y ajoute que, au cours du jeûne, il n’est pas interdit d’avaler sa propre salive. Je comprends que cela puisse être bizarre et provoquer la nausée si l’on rassemble une certaine quantité. Mais l’islam nous a recommandé de maintenir une excellente hygiène buccodentaire, en utilisant les brosses à dents et les cure-dents dont l’usage n’invalide pas le jeûne.
Quelles sont les principales dispositions pratiques et spirituelles que doit prendre un musulman pour observer le jeûne du Ramadan de manière correcte et bénéfique ?
Pour observer le jeûne du Ramadan de manière correcte et bénéfique, chaque jeûneur doit s’y préparer d’abord physiquement, en faisant des check-up si nécessaires, et psychologiquement en purifiant son intention et en ayant une perception positive de cette opportunité qu’est le Ramadan. Après quoi, il faut établir une routine, en planifiant ses journées pour inclure du temps pour les prières, la lecture du Coran et les actes de charité. Grâce à cette routine, nous pourrons mieux gérer notre temps, en réduisant les activités inutiles et en nous concentrant sur des actions positives et bénéfiques. Il faudra spécialement limiter l’exposition aux distractions telles que les réseaux sociaux et la télévision. Cette routine nous permettra d’intensifier les actes d’adoration comme la prière, la lecture du Coran, et les invocations, et d’avoir une base d’évaluation de nos journées. Ce qui va améliorer notre discipline personnelle. Il faudra en outre, rechercher toutes les informations, toutes les connaissances utiles qui nous permettront de réussir notre jeûne. Par exemple, qu’est-ce qui rompt le jeûne ? Quelles étaient les habitudes et les invocations du prophète pendant le mois de Ramadan ? Qu’est-ce qui améliore le mérite de notre jeûne ? etc… Enfin, chercher la meilleure compagnie possible pour tirer le plus profit des vertueux et des vertueuses pendant ce mois.
Pouvez-vous expliquer brièvement ce qui peut invalider le jeûne, ainsi que quelques-uns de ses mérites spirituels et sociaux ?
Ce qui peut invalider le jeûne, c’est d’abord manger ou boire intentionnellement : celui qui boit ou mange par oubli conserve son jeûne, car “C’est Allah qui l’a nourri” et “il ne punie pas celui qui mal agit par oubli, par ignorance et sous la contrainte” (hadiths). Avoir des relations sexuelles pendant la journée du jeûne invalide celui-ci, de même qu’une éjaculation provoquée par des regards soutenus ou la manipulation de son appareil génital. Il en est de même du vomissement uniquement provoqué. Le jeûne de la musulmane qui constate la survenue de ses menstrues ou d’un saignement post-partum (après l’accouchement ou l’avortement pour un fœtus de plus de quatre mois) doit être remboursé ultérieurement car invalide. La consommation de médicaments par voie orale invalide le jeûne, pas les injections qui n’ont pas une valeur nutritive (comme les vaccins et les injections de médicaments, sans glucosé ni soluté).
Le mois de Ramadan est souvent évoqué comme un moment de partage et de solidarité. En période de crise sécuritaire et humanitaire, quel appel lanceriez-vous aux musulmans pour qu’ils contribuent activement à l’effort de paix et à la réconciliation nationale ?
Je ne crois pas qu’il y ait d’appel à lancer. Il vous souviendra, de mémoire, qu’en juin 2023, la FAIB a contribué pour plus de 500 millions de FCFA, au nom de tous les musulmans et le Conseil du Mouvement sunnite avait donné également quelque chose comme deux millions en 2024, sans oublier les contributions des différentes associations, notamment des remises de vivres et de non vivres aux PDI. Les musulmans sont donc conscients de leurs contributions et ils les apportent assez régulièrement. Au-delà des remises d’argent, la FAIB a enjoint toutes les mosquées à faire des qunut ( NDLR prière spéciale faite à un moment de supplication particulière ) régulièrement pendant des mois d’affilées et occasionnellement à certaines circonstances.
L’Islam est parfois accusé à tort de promouvoir le terrorisme. En tant que guide religieux, quelle réponse donneriez-vous à ces allégations, surtout dans le contexte d’insécurité que vit le Burkina ?
En tant que pays souffrant du terrorisme, depuis 2015, je crois que nous sommes bien payés pour savoir qui sont ceux qui tirent leurs épingles du jeu, au détriment des populations musulmanes qui sont les plus massacrées, déplacées et traumatisées par ces individus obscurs, à travers ces massacres barbares et sanglants. On a vu sur la scène internationale, notamment en Syrie et en Irak, qui sont ceux qui financent le terrorisme et avancent leurs agendas au prix du sang des musulmans qui paient le tribut le plus lourd, plus que toute autre communauté, comme l’avait rappelé aussi François Hollande. Un numéro d’envoyé spécial de France 2, je crois, avait montré la fabrique des terroristes par le FBI et autres agences sombres. Même dans le traitement des informations, on voit comment on s’empresse à dire qu’il s’agit de terroriste quand il y a un musulman derrière un acte insensé et que les médias sont plus circonspects, quand l’islamité de la personne n’est pas là. J’aime à rappeler que le plus grand criminel d’Afrique n’est pas Boko Haram mais la LRA de Joseph Koni. Finalement, seuls ceux qui ne sont pas au courant de ces choses continuent de raconter ces choses ou le font pour leurs agendas.
Cette année, le coût du Hajj pour les Burkinabè s’élève à 3 261 500 FCFA. Que pensez-vous de cette somme et quel impact cela peut-il avoir sur la participation des fidèles burkinabè à ce rite important ?
Le hadj n’est pas obligatoire pour tout le monde. Il est certes un des piliers de l’islam , mais seuls ceux qui en ont les moyens doivent y aller. Ce n’est pas une mode mais un acte religieux qu’il faut accomplir dans des conditions bien précises. Je rebondis sur cette question sur un autre plan, car le pèlerinage est un pain béni pour des personnes qui ne prennent pas le temps de se renseigner ou qui sont aveuglés ! Le coût du Hadj pour les Burkinabè en 2025 a été fixé à 3 261 500. Cette somme, bien que significative, reflète les frais logistiques, de transport et d’hébergement nécessaires pour assurer un pèlerinage sécurisé et bien structuré. Cette année, c’est Air Burkina qui va assurer le transport. l’argent revient au Burkina oui ou non ? Les Saoudiens ont d’autres sources de revenus et prennent des frais de séjour, d’hôtel, de transport et de sécurisation de nos compatriotes. Ils le font avec tous les pays du monde. Le Burkina ne représente pas grand-chose dans ces calculs. Mieux, si le but des Saoudiens étaient d’avoir de l’argent, pourquoi ils mettraient des quotas que nous avons des difficultés à augmenter significativement au fil des éditions du hadj ?
Quels messages souhaitez-vous adresser à ceux qui ont pris les armes contre leur propre pays, en particulier dans cette période difficile où l’unité nationale est primordiale ?
En cette période difficile où l’unité nationale est primordiale, je m’adresse à ceux qui ont pris les armes contre leur propre pays avec un appel à la raison et à la réconciliation. Le mois de Ramadan est un moment de réflexion, de pardon et de retour vers Allah (swt). C’est une période propice pour reconsidérer ses actions et chercher des voies de paix et de réconciliation. Je vous exhorte à déposer les armes et à choisir la voie de la paix. La violence ne mène qu’à la destruction et à la souffrance. En ce mois béni, revenez vers vos familles et vos communautés avec un esprit de réconciliation et de pardon.
Interview réalisée Djamal Ouédraogo
LA PLUME