Sita Silué dit Fatou Sticker, réalisatrice ivoirienne : « Le FESPACO est notre Cannes »

Le cinéma africain est en pleine mutation, porté par des réalisateurs et producteurs engagés qui cherchent à raconter leurs propres histoires et à conquérir le marché international. Parmi eux, une réalisatrice et productrice ivoirienne, Sita Silué dit Fatou Sticker nous partage son expérience et son regard sur l’évolution du cinéma en Côte d’Ivoire et en Afrique. De ses premiers pas en tant que journaliste à son passage derrière la caméra, elle évoque les défis liés au manque de financement, l’importance de la formation et la nécessité de valoriser les récits ancrés dans la culture africaine. Engagée dans la promotion du cinéma africain, elle revient également sur son expérience au FESPACO, qu’elle considère comme une vitrine incontournable pour le cinéma du continent. À travers cet entretien qu’elle a accordé à LA PLUME, elle nous livre une vision inspirante du 7ᵉ art en Afrique, entre défis, ambitions et perspectives d’avenir.
Quelles sont vos impressions sur cette 29e édition du FESPACO ?
Étant à ma quatrième participation, je n’ai pas observé de différences majeures par rapport aux éditions précédentes. Ma première venue était par simple curiosité. Lors de ma deuxième participation, j’ai été nominée en tant que réalisatrice avec un court-métrage documentaire de 26 minutes. À la troisième, j’ai accompagné une amie qui souhaitait découvrir le festival et promouvoir ses films. Cette année, je participe en tant que partenaire du FESPACO, grâce au festival que nous avons initié au nord de la Côte d’Ivoire : le FACAS (Festival Africain du Cinéma et de l’Audiovisuel des Savanes). En parallèle, je suis ici avec un film en coproduction, notamment avec M. Bernard Yaméogo. Ce film panafricain a été tourné au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. En tant que coproductrice pour la Côte d’Ivoire, je soutiens activement ce projet, dont une partie est en compétition ici au FESPACO.
Quelle place occupe le FESPACO dans la promotion du cinéma africain selon vous ?
Le FESPACO est un événement incontournable pour le cinéma africain. Pour beaucoup d’entre nous, il représente « notre Cannes ». Tout le monde n’a pas les moyens d’aller au Festival de Cannes, mais ici, à Ouagadougou, nous avons notre propre plateforme d’expression. Ce festival est bien plus qu’une simple vitrine ; il nous pousse à nous surpasser et à proposer des films de qualité. Il favorise les échanges entre cinéastes, producteurs et distributeurs, tout en renforçant la coopération entre les pays africains. Le FESPACO est une opportunité à saisir, un moteur qui nous inspire et nous encourage à travailler ensemble pour faire rayonner notre cinéma. Le festival nous rappelle l’importance de la collaboration dans le cinéma africain. Ensemble, nous pouvons raconter nos histoires, honorer ceux qui ont défendu les valeurs africaines et transmettre notre héritage aux générations futures.
Comment décrivez-vous l’évolution du cinéma ivoirien ?
Le cinéma ivoirien est en pleine croissance. Par le passé, c’était un secteur sous-estimé, et il y avait beaucoup de doutes quant à son développement. Mais aujourd’hui, grâce à l’exemple de pays comme le Burkina Faso, notamment avec le FESPACO qui constitue un véritable moteur pour nous, nous nous efforçons de produire des films de qualité. Nous, acteurs du secteur, mettons tout en œuvre pour faire rayonner notre cinéma à l’international. Bien que le manque de financement demeure un défi, nous observons une amélioration progressive. Ces deux dernières années, le cinéma ivoirien a fait des avancées notables, et nous continuons à évoluer, en nous adaptant aux contraintes budgétaires tout en cherchant à produire des œuvres compétitives sur la scène internationale.
Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels font face les réalisateurs africains aujourd’hui ?
Le principal défi reste le financement. Réaliser un film nécessite un budget conséquent, et sans moyens adéquats, il est difficile de produire des œuvres capables de rivaliser sur la scène internationale. Un autre défi majeur concerne les scénarios. Il est crucial de raconter des histoires ancrées dans nos valeurs, nos coutumes et notre réalité africaine. Trop souvent, nous nous éloignons de notre propre culture pour tenter d’adopter des récits qui ne nous appartiennent pas. Nous devons absolument relever ce défi en mettant en avant nos propres histoires, nos vécus et notre héritage. Un bon film commence par un bon scénario. Si nous parvenons à raconter nos propres récits avec justesse et sincérité, nous serons en mesure de conquérir un public plus large et de marquer le cinéma africain de notre empreinte.
Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir réalisatrice et productrice ?
Avant d’être réalisatrice, j’étais journaliste, et j’ai toujours eu un amour profond pour l’écriture et le storytelling. J’avais déjà des scénarios prêts, et mon désir de perfection m’a poussée à me lancer dans la réalisation. Ma première œuvre a d’ailleurs été nominée au Prix Macaron. Pour moi, chaque projet doit être réalisé avec la rigueur d’un professionnel aguerri, peu importe l’expérience. Je crois en l’apprentissage par la pratique : je fais, je reçois des critiques, j’améliore, et ainsi de suite. Quant à la production, c’était une étape logique. En Afrique, il est difficile d’attendre un soutien immédiat des institutions. Plutôt que de rester passive, j’ai décidé d’agir. J’ai donc autofinancé ma première production, ce qui m’a donné envie d’approfondir mes connaissances en gestion de projet et en financement. C’est ainsi que j’ai créé ma propre maison de production. Aujourd’hui, je m’efforce de trouver des financements de manière digne et respectable, car je crois qu’un bon film mérite d’être soutenu par des ressources obtenues de manière éthique.
Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées en tant que femme dans ce domaine ?
Les défis sont nombreux, mais chaque difficulté a sa solution. Être une femme dans le monde du cinéma, surtout en Afrique, signifie souvent devoir prouver deux fois plus sa valeur. Mais je vois ces obstacles comme des opportunités de grandir et de montrer que nous avons notre place dans ce milieu. L’important est de rester intègre, de respecter ses valeurs et de toujours viser l’excellence. Ce sont ces principes qui m’ont guidée et qui continuent de m’inspirer au quotidien.
Y a-t-il des figures du cinéma qui vous ont inspirée dans votre parcours ?
Oui, plusieurs réalisateurs et réalisatrices m’ont inspirée. Parmi eux, une femme dont le parcours force le respect : une pionnière du cinéma qui, malgré son analphabétisme, a su écrire, réaliser et produire des films marquants. Son histoire prouve que la détermination et la passion peuvent surpasser tous les obstacles. J’ai également été influencée par M. Bernard Yaméogo, un grand cinéaste burkinabé. Il m’a appris l’importance de la formation et de la rigueur. Grâce à lui, j’ai compris que le cinéma ne se limite pas au talent, mais qu’il exige aussi un apprentissage constant et une discipline de fer.
Comment imaginez-vous l’avenir du cinéma africain dans les prochaines années ?
Si nous restons unis et solidaires, nous avons le potentiel de conquérir le monde. Il est temps que l’Occident vienne vers nous pour découvrir nos histoires, nos cultures et nos valeurs. Nous devons apprendre à accepter les critiques constructives, à nous perfectionner et à valoriser nos propres récits. En restant fidèles à notre identité et en travaillant ensemble, le cinéma africain a un avenir prometteur.
On a assisté au dévoilement des statues honorant les figures du cinéma. Quelles ont été vos émotions face à cet hommage ?
Ce fut un moment émouvant et symbolique. Cela rappelle que, malgré les divergences et les défis, le cinéma africain est un espace de fraternité. Le Burkina Faso a montré que rien ne doit nous diviser. Nous devons rester soudés, dépasser les conflits et travailler ensemble pour défendre nos valeurs et promouvoir notre culture.
Quels sont les films que vous réalisé et quels sont vos projets cinématographiques à venir ?
« L’Energie, défis de survie à Nanagoun » : Ce documentaire met en lumière les défis liés à l’absence d’électricité dans le village de Nanagoun, au Nord de la Côte d’Ivoire Actuellement, je travaille sur une série de 100 épisodes qui explore la coexistence interethnique en Afrique. Ce projet a été temporairement suspendu en raison du FESPACO, mais nous comptons bien le finaliser dans les mois à venir.
En tant que directrice du FACAS, parlez-nous de ce festival dédié aux films africains.
Le Festival Africain du Cinéma et de l’Audiovisuel des Savanes (FACAS) se tient dans le nord de la Côte d’Ivoire, à Korhogo. Il vise à promouvoir le cinéma africain à travers des compétitions de courts-métrages, des masterclasses et des projections en plein air. C’est un festival jeune mais prometteur, qui met l’accent sur la formation et l’implication des jeunes dans le secteur cinématographique. Le Burkina Faso a été le pays invité d’honneur lors de la première édition qui s’est tenue du 11 au 17 Août 2024, et nous espérons renforcer encore nos collaborations dans les prochaines années.
Un dernier mot
Je remercie le gouvernement burkinabè pour l’organisation et la sécurité assurée. Depuis notre arrivée, tout se passe bien. L’événement est bien organisé, et comme d’habitude, nous évoluons dans une ambiance paisible et joyeuse, sans pression ni crainte. Je tiens à exprimer ma gratitude à tous les organisateurs du FESPACO. Un grand merci au ministère de la Côte d’Ivoire, qui a envoyé une très grande délégation. J’en suis fière, car je vois la jeunesse présente. Je remercie également la FEPASI ainsi que toutes les personnes qui soutiennent le cinéma africain, même celles venues de l’autre bout du monde. Un grand merci à tous les festivaliers, car je constate que tout le monde est discipliné, sans aucun problème. Merci aussi à vous, jeunes reporters, à LA PLUME pour cette interview. Je suis heureuse, car nous devons transmettre cet héritage à la jeunesse.
Interview réalisé par Salfo Zabré
Adjaratou Séré (Stagiaire)
LA PLUME